2005
- DECOUVERTE MACABRE
:
Une découverte macabre
qui suscite bien des interrogations à Boutiers-Saint-Trojan
(CHARENTE LIBRE du 25 mai 2005 ) |
Jacques Joubert-Rippe et sa compagne Claudette
Decombe ont été retrouvés morts hier à
leur domicile. Touchés par balle, dans une odeur de gaz
Les corps sans vie de Jacques Joubert-Rippe et de sa compagne
Claudette Decombe ont été retrouvés hier
en début d'après-midi à leur domicile, au
482 route Porte-Fâche, sur la commune de Boutiers-Saint-Trojan.
Découverts par un membre de la famille, dans leur maison,
à proximité du carrefour entre la route qui mène
dans le bourg de Boutiers et celle qui conduit à Sainte-Sévère.
Pas de voisins immédiats sur cette petite route bordée
de vignes, où seuls les barrages installés par la
gendarmerie laissaient présager un drame hier après-midi.
Selon les premières constatations, les corps de Jacques
Joubert-Rippe et Claudette Decombe, touchés par balle,
se trouvaient l'un à côté de l'autre, à
proximité d'une arme à feu. Alors que le gaz était
ouvert. «A notre arrivée, une forte odeur était
perceptible à l'extérieur, précise le lieutenant
Carole Lecomte, de la compagnie de gendarmerie de Cognac. Une
situation qui ne présentait plus de risques à partir
de 15h.» Les pompiers de Cognac ont été les
premiers à arriver sur les lieux vers 13h30, avant d'être
rejoints rapidement par une quinzaine de gendarmes de la compagnie
de Cognac, ainsi que des techniciens en identification criminelle
de Cognac et d'Angoulême, la substitut du procureur Gislaine
Balzano et le médecin légiste. Les constatations
ont duré plusieurs heures.
Retraité de la viticulture
Prévenu à 14h, le maire de Boutiers-Saint-Trojan,
Robert Richard, s'est rendu sur place. «Jacques Joubert-Rippe
était connu comme un militant du Modef plutôt actif.
C'était un gars assez entier qui était arrivé
sur la commune avec ses parents agriculteurs alors qu'il était
enfant», souligne Robert Richard.
Âgé de 63 ans, Jacques Joubert-Rippe vivait depuis
quelques années avec Claudette Decombe. Il avait pris sa
retraite de la viticulture il y a quelques années, tout
en restant vice-président du Comité de défense
de la viticulture des Charentes (Modef), dont il était
un pilier. À ce titre, il prenait souvent en charge l'organisation
des réunions et assemblées générales
du syndicat à la salle des fêtes de Boutiers. «Un
type bien, dévoué et disponible qui avait une connaissance
solide des dossiers», dit Bernard Goursaud, l'ancien président
du CDVC-Modef.
L'homme, qui était aussi à ses heures perdues un
peintre amateur passionné et exposait fréquemment
dans les salons régionaux, avait, semble-t-il, d'énormes
soucis familiaux.
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Si son décès était largement
commenté hier soir au bar des Platanes, dans le bourg
de Boutiers, la tragédie laisse pour l'instant de nombreuses
interrogations. Meurtre ou suicide? Meurtre suivi d'un suicide
? Ce sera à la gendarmerie de Cognac, chargée
de l'enquête, de répondre à ces questions.
Ce n'est d'ailleurs pas la première affaire de ce type
confiée à la brigade de recherche criminelle sur
la commune de Boutiers-Saint-Trojan. En octobre 2003, les cadavres
de Madeleine et Raymond Delage avaient été retrouvés
dans des circonstances apparemment similaires. Il s'était
avéré que l'homme avait tué son épouse
avant de se donner la mort. Mais comparaison n'est pas raison.
«Si l'affaire a été rapidement éclaircie
à l'époque, celle-ci s'avère beaucoup plus
compliquée», confie le lieutenant Lecomte. Hier
soir, les corps des deux victimes devaient être amenés
à l'hôpital de Girac pour y être examinés.
Céline AUCHER
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Une information judiciaire
après la mort des retraités
(CHARENTE LIBRE du 26 mai 2005 ) |
La gendarmerie barrait hier la route devant
le domicile de Jacques Joubert-Rippe et Claudette Decombe, à
Boutiers - photo CL |
Au parquet d'Angoulême, Ghislaine Balzano,
la substitut du procureur, a ouvert hier une information judiciaire
à la suite de la mort de Jacques Joubert-Rippe et de
sa compagne Claudette Decombe, retrouvés sans vie, mardi
en début d'après midi dans la chambre à
coucher de leur maison de Boutiers St -Trojan.
Les corps sans vie des deux retraités, morts par balles
d'une carabine 22LR retrouvée sur place à proximité
du corps de Jacques Joubert-Rippe, ont été découverts
par un membre de la famille. Dans la maison, une forte odeur
de gaz, émanant d'un robinet ouvert.
Le dossier a été confié à la juge
d'instruction Marie Rouquier-Lafitte, qui a saisi les gendarmes
de la section de recherches de Poitiers.
Hier, en fin d'après midi, les magistrats et les gendarmes
se trouvaient toujours sur les lieux , pour tenter de comprendre
les circonstances de la mort des deux retraités.
Mardi soir, les deux corps ont été examinés
à l'hôpital de Girac à Angoulême.
Ils devaient être autopsiés hier soir. Et les investigations
se poursuivent. Les gendarmes ont, comme à leur habitude,
décidé de ne laisser de côté aucune
piste. L'enjeu de leur enquête, c'est de déterminer
s'il s'agit d'un meurtre suivi d'un suicide, ou d'un meurtre.Ils
avouaient hier ne privilégier aucune hypothèse.
Le principe serait la précaution. Ne pas s'emballer sur
un suicide pour s'apercevoir plus tard qu'ils seraient passés
à côté d'un meurtre. Mais ils n'auraient
pour l'instant aucun élément probant pour privilégier
une thèse.
Dans le village de Boutiers, la nouvelle du drame a surpris
beaucoup de monde. Agé de 63 ans, Jacques Joubert-Rippe,
retraité de la viticulture, mais toujours vice-président
du modef, et sa compagne donnaient l'image d'un couple sans
histoires qui aimait voyager. Ils venaient d'ailleurs d'acheter
un camping-car neuf pour aller se balader le week-end.
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Le fils avoue les meurtres
de Boutiers
(CHARENTE LIBRE du 08 juillet 2005 ) |
A l'issue de sa garde à vue, Bernard
Boutineau a reconnu qu'il avait tué sa mère et le
compagnon de celle-ci la nuit du 21 mai dernier à Boutiers
Meurtre avec préméditation, meurtre avec préméditation
sur ascendant légitime. Bernard Boutineau, 24 ans, après
un long interrogatoire dans le bureau de la juge d'instruction
Marie Rouquier-Lafitte, hier, a été mis en examen
pour le double meurtre de Boutiers-Saint-Trojan, découvert
le 24 mai dernier. Il est soupçonné d'avoir tué,
de trois balles chacun, de 22 long rifle, sa mère, Claudette
Decombe, 61 ans, et le compagnon de celle-ci, Jacques Joubert
Rippe, 63 ans. Hier soir, le juge des libertés et de la
détention l'a placé sous mandat de dépôt
à la maison d'arrêt d'Angoulême.
Bernard Boutineau, qui se ferait aussi appeler Kevin, était
en garde à vue depuis mardi matin, de même que sa
compagne, le fils de Jacques Joubert-Rippe et sa compagne. Il
a été le seul déféré au parquet
et mis en examen. Les trois autres ont été laissés
libres, mis hors de cause.
Quarante-six jours d'enquête, menée par la compagnie
de Cognac, la brigade de recherches, avec le renfort de la section
de recherches de Poitiers, ont permis aux gendarmes d'aboutir
in extremis. Leur principal suspect n'est en effet passé
aux aveux qu'hier matin, vers 7 heures, à trois heures
de l'expiration de ses quarante-huit heures de garde à
vue. Sous le feu roulant des questions des enquêteurs, il
a fini par reconnaître son implication dans le double meurtre.
Des aveux que Ghislaine Balzano, substitut du procureur a qualifiés
de «circonstanciés. Il a fourni des détails
que seul l'auteur pouvait connaître».
Pour autant, le jeune homme n'a pu vraiment expliquer son geste.
Tout juste aurait-il parlé d'un «passage à
vide le soir des faits», dit qu'il se sentait sous-estimé,
dévalorisé, alors que par ailleurs, il aurait eu
de très bonnes relations avec sa mère.
Mais au-delà de «ce passage à vide»,
une raison plus «financière» pourrait
se profiler. Claudette Decombe avait vendu la maison familiale
qu'elle possédait à Pons, en Charente-Maritime,
ce qui aurait pu, pour les enquêteurs, provoquer des tensions
au sein de la famille. Mais qui semblent difficiles, seulement,
à expliquer un double meurtre prémédité.
Même si Bernard Boutineau, papa d'un enfant de quelques mois,
ne vivait que du RMi.
«D'autres investigations, d'autres auditions seront
nécessaires pour affiner ses motivations», explique
en substance Ghislaine Balzano. Tout n'aurait pas été
dit au cours d'une garde à vue que le colonel Daniel Bolmont,
patron du groupement de gendarmerie, qualifie d'«éprouvante».
Les experts psychiatres et psychologues devront notamment creuser
les liens qui unissaient le jeune homme à sa mère,
tenter d'établir les raisons qui ont pu motiver son acte.
C'est encore une quasi inconnue dans ce dossier. Pourtant, dès
le départ, les gendarmes ont privilégié l'hypothèse
qui mettait en cause un proche de la famille. Ils ont bien pensé
au fils de Jacques Joubert-Rippe, dont ses amis du Modef, qu'il
avait animé, savaient les relations parfois tendues avec
son père, la volonté de ce dernier de profiter de
la vie, quitte à ne pas laisser grand-chose à ses
enfants. C'était la mauvaise piste.
Trois balles chacun
Les enquêteurs se sont aussi intéressés au
fils de Claudette Decombe. C'est lui qui les avait appelés,
au matin du 25 mai, quatre jours après la date de la mort,
survenue au cours de la nuit du 20 au 21 mai.
La plus proche voisine du couple, rue Porte-Fâche, à
Boutiers, raconte : «Trois ou quatre jours avant de
disparaître, ils étaient venus me voir pour me dire
que je ne les verrai pas pendant quelque temps, qu'ils allaient
partir avec le camping-car qu'ils venaient d'acheter.»
Le fils est passé le matin de la découverte du drame.
«Sa mère lui avait dit qu'elle lui téléphonerait
avant de partir. Il a trouvé étonnant de ne pas
recevoir de coup de téléphone. Il est venu, il a
vu le camping-car dans la cour. Il a trouvé ça bizarre.
Il a appelé les gendarmes». Sans même
pénétrer dans la maison.
Sur place, les enquêteurs, notamment les techniciens en
investigation criminelle, ont découvert les corps des deux
retraités. Ils ont vite exclu l'hypothèse d'un meurtre
suivi d'un suicide auquel aucun des proches du couple ne pouvait
croire. Les constatations l'ont démontré. Le couple
semblait avoir été abattu en plein sommeil, quatre
jours avant la découverte du drame.
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Jacques Joubert-Rippe et sa compagne ont été
tués dans leur lit, chacun de trois balles d'une carabine
22 long rifle, appartenant à Jacques Joubert-Rippe, retrouvée
au pied du lit. Dans la maison, un tuyau d'alimentation sectionné
et une forte odeur de gaz. Difficile, dès lors, d'envisager
un suicide de trois balles, surtout lorsque l'homme a été
retrouvé les pieds sous la couverture, le corps à
demi hors du lit, une balle… dans le dos, à la hauteur
de l'épaule. Les expertises balistiques et l'autopsie ont
clairement établi qu'il ne pouvait s'agir d'un suicide.
Restait à démêler une affaire qui s'annonçait
«particulièrement difficile», selon
les termes du colonel. Une cellule a été mise en
place, qui a mobilisé au quotidien une quinzaine de gendarmes.
Dès le 27 mai, ils avaient bloqué les entrées
de Boutiers, interrogé tous les automobilistes, suscité
d'éventuels témoignages, distribué des appels
dans les boîtes aux lettres.
Ils ont entendu une centaine de témoins. Parmi ceux-ci,
ils ont relevé des incohérences, des contradictions
dans les déclarations de Bernard Boutineau. Si «rien
ne laissait supposer qu'il allait commettre un tel acte»,
ils ont insisté. Un mois et demi d'investigations et quarante-huit
heures de garde à vue leur ont permis d'aboutir.
Jean-François BARRÉ |
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«C'était
des déductions, pas des aveux»
(CHARENTE LIBRE du 05 juillet 2007) |
Tout au long de l'audience, Kevin Boutineau
a nié le double meurtre qu'il avait avoué
Les familles des victimes, qui se sont porté partie civile,
espèrent des réponses durant ce procès
Aux abois. Il est entré prostré, le regard fuyant,
dans le box des accusés de la cour d'assises de la Charente,
hier matin. Un peu plus de huit heures de débats. Il
a pris un peu d'assurance. Avant de finalement craquer, de fondre
en larmes, le regard fixé sur l'adjudant qui venait de
raconter sa garde à vue, en juillet 2005.
«Ça fait deux ans que je paye alors que je n'ai
rien fait. Vous avez bien su m'orienter. Je m'en souviens très
bien de la garde à vue. Je répondais une autre
réponse jusqu'à ce que ça colle. Vous ne
vous en souvenez pas ?»
Kevin Boutineau, la mine aussi sombre que sa chemise boutonnée
jusqu'en haut qui souligne le teint blafard et les yeux gonflés
de celui qui n'a pas du bien dormir sa dernière nuit
en détention avant le grand déballage des assises,
a tenté jusqu'au bout de cette première journée
de débats, de tenir une position de plus en plus intenable.
Il n'a pas abattu sa mère, Claudette Decombe, 61 ans,
de trois balles de 22 long rifle en pleine tête et en
plein sommeil, au cours de la nuit du vendredi 20 au samedi
21 mai 2005. Il n'a pas non plus tué le compagnon de
celle-ci, Jacques Joubert-Rippe, 63 ans, dans leur maison de
la rue Porte-Fâche, à Boutiers-Saint-Trojan, de
trois autres balles de la même arme.
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«Pas besoin de faire du propre»
Kevin, 26 ans, est «innocent». Il le clame
depuis des mois. Et pourtant. Dans le volumineux dossier qui
trône devant Jean-Alain Nollen, le président de
la cour d'assises, il y a les nombreuses cotes du dossier. Sa
garde à vue, ses auditions chez le juge d'instruction
qui contiennent ses aveux. Précis, circonstanciés.
Les aveux d'un jeune homme qui corroborent en tous points les
constatations effectuées dans la maison du drame le mardi
suivant, le 24 mai. Des détails, un déroulé,
un scénario que seul pouvait connaître le meurtrier
des deux sexagénaires.
En garde à vue, face aux gendarmes de la brigade de recherches
de Cognac, Kevin avait pourtant raconté comment ce soir-là,
après un accrochage au téléphone avec sa
mère, parce qu'une fois encore, il lui réclamait
de l'argent, il s'était rendu au domicile du couple.
Comment il était tombé sur Jacques Joubert-Rippe,
une figure dans la commune, ancien dirigeant du Modef, qui lui
avait refusé l'entrée. Comment il avait patienté
dans sa voiture. Comment, dans la nuit, il était entré
dans la propriété par une baie coulissante qu'il
savait défectueuse. Comment il avait calmé le
petit caniche abricot pour qu'il n'aboie pas. Comment il avait
pris la carabine, était monté dans la chambre.
Là, cela semblait acquis jusqu'à ce qu'il se rétracte,
il avait allumé la lumière, avait visé
la tête de sa mère, tiré à trois
reprises. Jacques Joubert-Rippe s'était réveillé,
redressé. «Qu'est ce que tu fous là ?»
En réponse, il avait mis un coup de crosse, tiré.
Etait redescendu chercher un autre chargeur alors que son beau-père
agonisait. Il avait à nouveau tiré. Sans même
viser, «parce que je n'avais pas besoin de faire du propre».
Puis il avait allumé une bougie et ouvert le gaz.
C'est lui, le mardi, revenu avec sa jeune compagne et leur bébé,
pour s'étonner de l'absence du couple, qui avait senti
le gaz, appelé les secours.
Pour les enquêteurs, il était le fils de la victime,
lui aussi victime. Même si son comportement a pu surprendre.
Les gendarmes se sont intéressés très vite
au crime d'un proche. Ils ont pensé au propre fils de
Jacques Joubert-Rippe. Il y avait eu des menaces, des coups.
Ils étaient en guerre depuis des années. Cela
ne tenait pas.
«Pas de milieu possible»
Kevin leur est apparu comme un suspect potentiel.
Ils l'ont interrogé. Il a difficilement accouché
ce qui allait devenir la vérité du dossier. Avant
de tenter de se suicider en prison, puis de revenir sur ses
aveux au sortir de l'hôpital psychiatrique.
Aux gendarmes, il a même demandé s'ils avaient
trouvé des preuves, parce que lui était persuadé
qu'il n'avait pas pu faire ça. Pas sa «petite maman
chérie». «Ce ne pouvait pas être moi»,
a-t-il confié au psychologue. Mais Kevin, qui a fait
changer par la justice son ancien prénom de Bernard parce
que c'était aussi celui d'un père honni, haï,
violent, qu'il n'a jamais connu parce que parti pour une maîtresse
lorsqu'il avait 16 mois, n'est pas fou. Il n'est pas schizophrène,
ne souffre pas de dédoublement de la personnalité.
Jean-Claude Chanseaux, l'expert psychiatre de Libourne est venu
le dire hier. Dire aussi qu'il n'envisageait pas un déni
de culpabilité qui aurait pu rendre le garçon
amnésique. Il entretenait simplement une relation «fusionnelle»
avec sa mère, qui l'assistait à coups de 300 €
par mois. Ce qui avait pour effet d'exaspérer son compagnon,
au point qu'il envisageait de lui faire choisir entre un fils
tapeur pour se payer du shit et un mari qui s'inquiétait
de la voir dilapider ses biens.
Lui le petit dernier des cinq enfants de la famille, le chouchou
de sa maman qui pouvait devenir «violent verbalement»
et casser les portes quand il n'obtenait pas assez vite ce qu'il
voulait. «Ce soir-là, il a tué la banque.
Il sentait que la source allait se tarir», a lancé
un enquêteur. Un excellent mobile ? La ligne de défense
de Kevin est fragile. Mais le feu roulant des questions d'un
président parfois au bord de l'agacement ne l'a pas vraiment
fait vaciller.
Les mines qu'ont posées les avocats de la partie civile,
représentant les familles, n'ont eu pour seul effet qu'appeler
les mêmes réponses. «Ils m'ont mis la tête
à l'envers en garde à vue. Ce n'est pas moi. Ce
n'était que des hypothèses que je formulais. Des
déductions que je me suis faites dans ma tête.»
Des «flashes». Mais qui correspondaient point pour
point au déroulé de la nuit.
Un adjudant de la section de recherches se souvient de la fin
de la garde à vue, de Kevin en pleurs, à genoux,
face à sa compagne, lui avouant les meurtres. Et elle
qui hurlait: «T'as pas fait ça à maman...»
Hier soir, le président a mis Kevin au pied du mur: «Dites
leur que ce sont des menteurs ou des manipulateurs. Ou dites
que vous avez bien fait ces déclarations. Il n'y a pas
de milieu possible.»
Les débats reprennent ce matin.
Jean-François BARRÉ
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Meurtres de
Boutiers: «Kevin, n'aie pas peur de dire la vérité»
(CHARENTE LIBRE du 06 juillet 2007) |
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Le président ne l'a pas ménagé,
l'avocat général a insisté, les parties civiles
ont enfoncé le clou. Kevin Boutineau clame toujours son
innocence
«Tout ce que je lui demande, c'est d'assumer, de
cracher le morceau.» Une chape de plomb s'est abattue sur
la salle d'audience de la cour d'assises de la Charente, au deuxième
jour du procès. Seuls quelques reniflements troublent le
silence, pesant.
Béatrice Boutineau, les mains crispées sur la barre,
s'est tournée vers Kevin, son petit frère qu'elle
a «aimé». «Ça fait deux ans qu'on
en souffre. Il faut dire la vérité. Ce n'est plus
possible de continuer comme ça. Ni pour toi, ni pour nous.
On sait tous. Même si tu as peur. Kevin, pour nous, pour
Amélie, toi son grand frère tonton, ne continue
pas. Tu vas dans le mur.»
Dans le box, Kevin explose, des sanglots pleins la voix. Je peux
te jurer sur ce que j'ai de plus cher. Ce n'est pas moi.»
Béatrice insiste, le regard planté dans celui de
son petit frère. «L'enfant que j'ai aimé me
manque. Là, j'ai un étranger en face de moi. N'aie
pas peur de dire la vérité.» Un blanc.
Kevin, en pleurs. «Je vous comprends tous. Je peux vous
jurer que ce n'est pas moi. Ça fait deux ans que je cherche.»
Le président Nollen reprend la main. «Choisissez.
Il faut que nous comprenions. On va décortiquer. Si ce
n'est pas vous, si vous êtes sûr de vous, ne dites
pas que vous êtes coupable. Mais si vous vous interdisez
de dire la vérité, vous vous interdisez d'expliquer
pourquoi.» |
«C'était mon frère»
Le fil est rompu. L'émotion est retombée.
Kevin Boutineau, semblait avoir atteint le point de rupture.
Il n'a pas basculé.
Alors, le président de la cour d'assises, pour la seconde
ou la troisième, ou la énième fois, a repris
son dossier. Celui du double meurtre de Boutiers-Saint-Trojan,
dans la nuit du 20 au 21 mai 2005. Le meurtre de Claudette Decombe,
la mère de Kevin, et de Jacques Joubert-Rippe, son compagnon,
que la cour d'assises examine depuis mercredi matin (lire CL
d'hier).
Retour à la case départ. Retour aux déclarations
des gendarmes. Ils étaient venus raconter leur enquête
au premier jour de l'audience. D'autres leur ont succédé
hier, pour redire les aveux du jeune homme buté, aujourd'hui
âgé de 27 ans, qui persiste à nier ses premières
déclarations, si précises, sans qu'on ne lui ait
rien dit, qu'elles collent au millimètre aux constatations
des enquêteurs. Si précises qu'elles épousent
très exactement les contours du rapport que sont venus
présenter hier matin les médecins légistes.
Une fois, deux fois, trois fois les mêmes questions. Kevin
Boutineau est arc-bouté sur sa ligne de défense.
«J'ai imaginé. C'était des inventions.»
Qui apparaissent plus vraies que nature. Qui racontent, mais
qui n'expliquent pas vraiment les vraies raisons du double meurtre.
Certes, ses frères, de plus de quinze ans ses aînés,
sont venus tenter d'apporter un élément de réponse.
Répéter que c'était une histoire d'argent.
Comme Bruno, l'aîné, 49 ans, chauffeur routier,
venu vanter les mérites de Jacques Joubert-Rippe, «cet
homme très, très bien» devenu son vrai père
tant le vrai géniteur de la fratrie était haï.
Venu dire aussi qu'il n'avait «aucun doute». «Pourtant,
c'est mon frère. Enfin... c'était mon frère»,
celui qui «se prenait pour le petit dernier, qui n'a jamais
voulu bosser». Et le routier n'aime pas les feignants.
«A pieds joints sur la réalité»
Frédéric, son cadet, 41 ans, submergé
par l'émotion, qui «gardait le petit quand maman
travaillait au cinéma à Pons», ne peut oublier
qu'il a «aimé cet enfant, joué avec lui».
«Il n'est pas évident de gérer mes sentiments.»
Comme Béatrice, dont la fierté, et celle de ses
trois frères, est d'avoir «réussi à
s'en sortir sans jamais rien demander.»
Tout le contraire de Kevin, que ses frères accusent d'avoir
racketté leur mère, jusqu'à en indisposer
son compagnon. «J'en avais parlé à maman,
se souvient Béatrice. Je lui avais dit, arrête
tout ça. Jacques va te larguer et je ne veux pas te ramasser
en morceaux.»
Dans le box des accusés, toujours de noir vêtu,
le regard fixé sur le plancher, Kevin Boutineau a encaissé
les coups, qui venaient de sa famille proche. Puis il s'est
repris pour, avec un peu d'aplomb retrouvé, parler de
ses «imaginations» et de ses «inventions».
Pas vraiment à l'aise. Parfois fuyant. «J'étais
dans le doute, si c'était vrai ou pas vrai, tout en sachant
que ce n'était pas vrai.»
«Vous n'avez pas d'explication sauf quand vous avez deviné
les choses et êtes tombés à pieds joints
sur la réalité», lui a lancé le président.
Kevin n'en a pas fini. Jean-Alain Nollen compte reprendre l'interrogatoire
par le menu dès ce matin. Avant le réquisitoire
et les plaidoiries.
Le verdict est attendu ce soir. Kevin Boutineau encourt la réclusion
à perpétuité.
Jean-François BARRÉ |
Trente ans
pour le double assassinat de Boutiers-St-Trojan
(CHARENTE LIBRE du 07 juillet 2007) |
Trente ans de réclusion criminelle. Deux
heures de délibéré et les six hommes et les
trois femmes qui composaient le jury de la cour d'assises de la
Charente ont répondu «oui» à toutes
les questions.
Oui, Kevin Boutineau, 26 ans, a bien tué sa mère,
Claudette Decombe et son compagnon, Jacques Joubert-Rippe, dans
leur maison de la rue Porte-Fâche, dans la nuit du 20 au
21 mai 2005 à Boutiers. Oui, il avait bien prémédité
son geste. Et accessoirement, oui, il avait aussi volé
pas loin de 500 € et un pistolet à plombs.
Hier, en fin d'après-midi, le poing serré, Jean
Moulineau, l'avocat du jeune homme a jeté toutes ses forces
dans une bataille qui semblait perdue d'avance. Il est parvenu
à éviter à Kévin la réclusion
criminelle à perpétuité que Jean-Pierre Bot,
l'avocat général venait de requérir.
De la salle, une paire d'applaudissements s'est élevée,
vite douchée par le président Nollen. «Un
verdict comme celui-ci, c'est toujours le constat d'un grand échec.
Je pense sincèrement que ça ne vaut pas des applaudissements».
C'était en tout cas le constat de l'échec de la
jeune existence de Kevin Boutineau. |
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Le jeune homme, tout de noir vêtu, comme
aux deux premiers jours de son procès, la mine sombre
mais le verbe un peu plus assuré, n'a pas bronché
à l'énoncé du verdict. Mais il a assurément
accusé le coup, lui qui, depuis des mois, depuis l'ouverture
des débats, mercredi, clamait son innocence, même
poussé dans ses derniers retranchements par la sœur
qui l'avait élevé (lire CL d'hier).
Hier matin, encore, un peu seul contre tous, contre l'escouade
de gendarmes venus accumuler les charges, contre sa propre famille
convaincue de sa culpabilité, contre trois avocats de
la partie civile, contre l'avocat général et sans
aucun témoin acquis à sa cause, il a de nouveau
renié ses aveux. Arc-bouté sur une ligne de défense
de moins en moins tenable. Comme les jours précédents,
malgré l'insistance du président.
«La voie de la raison»
Trois avocats des familles Joubert-Rippe et Boutineau
contre lui, qui n'ont pas eu de mots assez durs pour fustiger
celui qui avait «tué la banque», commis «l'irréparable»
en «exécutant» sa mère et son beau-père
pour un mobile aussi dérisoire que l'aide financière
de maman qui allait se tarir.
Au presque terme d'une audience «éprouvante»,
Jean-Pierre Bot, l'avocat général n'a pas caché
son trouble. «On ne tue pas la personne qui vous a donné
la vie et qui vous aime».
Sobrement, mais avec force et conviction, il s'est replongé
dans son dossier, pour en extraire tous les éléments
d'aveux confrontés aux éléments matériels
et qui collent parfaitement. Les détails. «La scène
qu'il décrit n'est pas imaginaire. Il l'a vécue,
suffisamment pour la mimer, la bruiter».
Il s'est souvenu qu'en garde à vue, le jeune homme s'était
effondré aux pieds de sa compagne. «J'aurais aimé
qu'il le fasse hier. Qu'il dise, comme dans les lettres à,
sa nièce, qu'il avait commis l'irréparable. Là,
il était humain.»
Dès lors, il n'a reconnu aucune circonstance atténuante,
aucune excuse à celui qui «en l'état actuel
de son comportement, ne mérite pas la compassion.»
Réclusion criminelle à, perpétuité,
a-t-il laissé tomber, la mine grave.
Jean Moulineau savait que la tâche serait difficile. «C'eut
été plus simple pour tout le monde s'il avait
réitéré ses aveux.» A son secours,
il a appelé Descartes et sa méthode fondée
sur le doute. Outreau, aussi, pour remettre en cause les conditions
qui ont permis de recueillir les aveux en garde à vue.
Patrick Dills, encore: des aveux circonstanciés, réitérées.
La perpétuité, la révision, la liberté.
Il a voulu, avec brio, avec ferveur, entraîner les jurés
«sur la voie de la raison», instiller le doute.
«La facilité, comme l'évidence, c'est parfois
l'ennemie de la vérité.»
Les incohérences de certaines déclarations, l'absence
de preuve matérielle. Et surtout, la personnalité
perturbée du jeune homme «rentré dans la
peau de l'agresseur. On parle de dédoublement de la personnalité.
Et s'il s'était identifié à ce salopard
qu'était son vrai père, dont il portait le prénom
et dont il a voulu se débarrasser ?» Problématique
d'identité pour Bernard «dit» Kevin, rapport
complexe à la mère, chez celui que sa famille
rejette. On l'aime tout en le haïssant. Il n'y a pas de
pardon.Pas de pitié.»
De son dossier, l'avocat a ressorti l'appel affolé aux
pompiers quand Kevin a découvert le drame. «Ça
pue le gaz. Il y a urgence. C'est ma mère.»
Kevin Boutineau ne sait pas encore s'il fera appel. Il est reparti
en prison. Il n'a pas entendu les hoquets de sa compagne, effondrée
sur les marches du palais. Il n'a pas non plus entendu l'avocat
de ses frères et sœurs estimer que ce n'était
finalement pas si cher payé, pendant que les magistrats
se penchaient sur les plus de 400.000 € que lui réclament
les parties civiles.
Jean-François BARRÉ
NDLR : Bernard Boutineau n'a pas fait appel. |
VERDICT
(FRANCE 5 le 24/11/2007 - Rediffusion
les 04, 10 et 17/12/2007)
"L'affaire Boutineau" Un film
de Patrick Benquet et Jean-Charles Marchand |
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